La peur est le plus puissant levier
de la religion écologique,
comme elle l'a été de toute religion.
Bernard Oudin
Invoquer sans cesse le principe de précaution
alors qu'on dispose d'une telle masse d'informations
revient à nier l'utilité de la recherche scientifique.
Alfred Bernard
La peur de l'an 1000 a été remplacée par la peur de l'an 2000.
Les prophètes, les moines prêcheurs et les chamans ont été remplacés par les activistes verts, les congressistes voyageant de Rio à Tokyo et les 'experts' des administrations.
Les gens sont aussi crédules qu'au Moyen-Âge quand on peur prédit des catastrophes qui arriveront dans 20 ans ou 100 ans, et cela parce que personne ne peut aller vérifier ce qui se passera dans cent ans.
Les images générées par ordinateur et projetées sur nos écrans de télévision ont rempla-cé les tours de passe-passe et les techniques de mystification des saltimbanques.
L'Apocalypse de St-Jean a été remplacée par les apocalypses diverses pour le siècle à venir. Des scientifiques avides de subsides pour leur programme de recherche sont prêts à vous produire n'importe quel scénario effroyable sur la montée des océans, sur le dan-ger des salades contaminées au plomb, sur les cancers dus au trou dans la couche d'ozone, sur les morts imaginaires de Seveso, sur les mutations génétiques autour des centrales nucléaires.
La bonne conscience peut de nouveau s'acheter. Au Moyen-Âge la collecte de fonds se faisait par le biais des absolutions, maintenant elle se fait par le biais des cotisations à des associations écologistes qui sont devenues des empires financiers.
Il se fait cependant que dans nos pays où la technophobie et le chimiephobie sont les plus marquées, la mortalité infantile est tombée de 26% à 0,9% en un siècle et l'espérance de vie est passée de 40 à 72 ans. Bien sûr il y plus de gens qui meurent d'un cancer, mais précisément parce qu'ils sont âgés. 2% des cancers seulement sont dus à des pollutions d'origine industrielle.
Le smog qui s'éclaircit
Entre les deux guerres la diphtérie était la cause de 50 000 morts en Angleterre et la tu-berculose la cause de 25 000 morts. Une des causes principales était l'atmosphère polluée des grandes villes comme Londres, atmosphère beaucoup plus délétère que ne l'est l'ozone pour les joggeurs.
A cause des fortes concentrations en ozone des basses couches de l'atmosphère l'air de nos villes deviendrait irrespirable et dangereux pour les personnes à risques, les asthma-tiques, les cardiaques, les vieillards, les enfants et les joggeurs.
Le coupable de cet état de choses serait la voiture particulière, non pas la Volkswagen peinturlurée et cahotant du professeur écologiste mais la Mercedes de l'homme d'affaires. Aussi des Länder progressistes comme ceux de Hesse ou de Bade ont procédé à des expé-riences (1) à grande échelle par des restrictions dans la circulation automobile, mais, oh désappointement, les résultats étaient contraires à ceux attendus. Les concentrations en ozone dans l'air de villes n'ont pas non plus augmenté au cours des dernières 15 années (2), et pourtant la circulation automobile a augmenté.
Ces mesures ont été confirmées entre-temps : les concentrations en ozone sont souvent plus élevées à la campagne qu'en ville, à Consthum qu'à Metzerlach, au pied de la Sierra Nevada qu'à Malaga (3). Les enfants des villes qui participent à des camps de vacances à la campagne y souffrent souvent d'affections pulmonaires dues à l'ozone des forêts. Les arbres, les chênes notamment, émettent de l'isoprène (450 000 000 tonnes par année de ce composant organique volatil (4)). D'autres plantes émettent des terpènes qui eux aussi entrent dans la chimie de formation de l'ozone.
La station météorologique de Diekirch (5) vient également de publier des données qui montrent qu'il y a bien une corrélation entre le rayonnement UV-B et l'ozone troposphé-rique, mais pas avec les concentrations de NO2 et de SO2.
Les études épidémiologiques faites au cours de ces années ont également infirmé beau-coup d'hypothèses alarmantes. Les seniors et les asthmatiques (6) ne sont guère affectés. A San Francisco les gens vivent en permanence dans des concentrations d'ozone supéri-eures à 400 ppm sans en pâtir, alors qu'à Luxembourg et en Allemagne on sonne l'alarme à 240 ppm. Mais ces appels d'alarme concernant l'ozone à la radio et dans la presse ont probablement rendu plus de luxembourgeois malades d'angoisse que de bronchite. Si l'effet de l'ozone sur les troubles respiratoires reste à démontrer, celui des émissions de voitures en milieu urbain semble cependant certain (7).
Les scientifiques reconnaissent aujourd'hui qu'ils ne comprennent pas encore la chimie de l'ozone. Il apparaîtrait que les contaminants émis par les voitures et les cheminées détrui-sent rapidement l'ozone qui s'est formé sous l'influence des rayons du soleil. Des cherche-urs américains qui ont reçu le prix Nobel pour cette découverte nous ont dit il y a 20 ans que cela ce passait ainsi au-dessus de l'Antarctique. Pourquoi ces mêmes polluants ne détruira-ient pas également l'ozone au raz des pâquerettes ?
Verra-t-on encore l'année prochaine sur nos autoroutes la banderole 'Kee Bock op de Smog' qui apparaît ridicule dans ce nouveau contexte scientifique et qui fait peur aux touristes étrangers et aux flamands qui viennent à Luxembourg pour affaires.
Le « Waldsterben » qui se meurt
Tout le monde était d'accord au début des années 80. La forêt se mourrait. Greenpeace le disait et les journaux le répétaient. En 1982 la 'Süddeutsche Zeitung' lui donnait encore 5 années et 'Der Spiegel' faisait appel à l'amour atavique pour la forêt » Nicht in kalten Marmorsteinen/ Nicht in Tempeln, dumpf und tot/ In den frischen Eichenhainen/ Lebt und rauscht der deutsche Gott » (Ludwig Uhland).
Il est certain que dans les régions à fortes concentrations en industries émettrices de fu-mées sulfureuses les forêts de conifères périssent (Erzgebirge, Ontario, Tchechie). Le problème est plus complexe pour les prétendus dépérissements en Forêt-Noire, en Scan-dinavie, au Canada.
Dans tous les pays des programmes de suivi et de comptage des arbres malades ont été mis sur pied. On s'est rendu compte que le phénomène du 'Waldsterben' n'était pas nou-veau. En 1779 l'abbé du couvent cistercien d'Aldersbach en Bavière notait :'Die Bäume scheinen von einer Krankheit befallen zu sein und einzugehen. Die Krankheit dehnt sich aus und greift auf andere Bäume über. Möge doch der Himmel dieses grosse Unglück von uns wenden'. Et en 1810 un rapport des gardes forestiers de Saxe notait :'Die Buchen fangen an giebeldürr und weissfaul zu werden und eilen mit Riesenschritten ihrer Ver-wesung zu'. Un rapport de St.Blasien de 1922 dit : 'In der Rothütte habe ich seit 15 Jah-ren nicht nur ein Tannensterben sondern auch ein Buchensterben gesehen'.
Les scientifiques invoquent différentes causes : l'ozone, la radioactivité, la monoculture, la sécheresse, le grand froid. Il est difficile d'expliquer pourquoi en plein coeur de Paris les arbres des Tuileries résistent parfaitement à une pollution intense qui ronge les statues de la place de la Concorde. Le congrès des Etats-Unis a financé un programme de 10 ans impliquant 300 scientifiques et coûtant 500 millions de dollars pour étudier les pluies acides et arriver à la conclusion que celles-ci ne peuvent pas être la cause principale du dépérissement de certains arbres parce que celui-ci a souvent lieu sur des sols alcalins. En Allemagne les programmes de recherche sur le 'Waldsterben' ont englouti 500 millions de DEM pour arriver au même résultat. Aux Etats-Unis 600 millions de dollars. Qui en profite ?
Les derniers comptages dénotent cependant un pourcentage d'arbres sains plus élevé, de 4 à 10 % selon les comptages.(8) Ceci est également confirmé par le dernier rapport du Forstministerium de Bavière (9).
On ne peut pas non plus incriminer la déposition de poussières chargées en métaux lourds (10). Les arbres se développent normalement sur les sols fortement contaminés en mé-taux lourds, et cela quelle que soit la nature du sol.
Il apparaît de plus en plus que les secousses climatiques jouent un rôle prépondérant et que la grande sécheresse du printemps de 1976 est la cause des dégâts observés quelques années plus tard.
Mais aujourd'hui ont se rend compte que la forêt est toujours là et qu'elle se porte plutôt bien. Sa surface augmente même. En Allemagne la surface de la forêt a augmenté de 20 % en un siècle (11), en Suisse elle a augmenté de 50% (12), au Royaume-Uni et en Suède (13) elle a doublé(14), en France elle est passée de 9,3 millions d'hectares en 1862 à 14,3 milli-ons d'hectares en 1978. Aux Etats-Unis la surface des forêts a augmenté de 50 millions d'âcres depuis 1920 selon le US Department of Agriculture. En 1850 les forêts en Nouve-lle Angleterre ne couvraient plus que 30% du sol, aujourd'hui elles couvrent de nouveau 70%. En Espagne, elle a augmenté de 400 000 hectares au cours des dernières vingt années(15).
Non seulement la surface totale des forêts a augmenté de 30 % en Europe, mais la crois-sance des arbres a également été plus rapide qu'au cours des décennies précédentes et le volume sur pied augmente. La mesure de l'épaisseur des anneaux de croissance le montre nettement. Du moins sous nos latitudes alors que dans le grand Nord on voit plutôt une tendance contraire (16). La cause de cette croissance plus rapide des arbres serait due aux composés azotés, oxydes nitriques et ammoniaque, que la contamination aérienne leur amène en concentrations plus élevées (17). Cette surabondance d'engrais crée cependant des dérèglements : les feuilles jaunissent plus tard en automne, l'ion ammonium conduit à une déficience en magnésium, les arbres sont plus susceptibles aux attaques de certains insectes, plus sensibles aux périodes de sécheresse.
D'autres disent que la cause principale du dépérissement des forêts de nos pays est le re-cyclage du papier poussé à l'extrême. Jadis l'utilisation du bois pour la fabrication de pa-pier, pour le chauffage et pour la construction favorisait l'entretien, le rajeunissement des forêts et la marche harmonieuse du cycle forestier. Aujourd'hui la plupart des arbres sont malades parce qu'ils sont vieux. Et ce sont les jeunes arbres en croissance qui consom-ment le dioxyde de carbone, et non pas les vieux chênes de l'Oesling ni la forêt tropicale. On se rend compte également que les catastrophes naturelles telles que avalanches, tem-pêtes, feux de forêt ne sont pas nécessairement des catastrophes mais conduisent à un rajeunissement des vieilles forêts et surtout à une augmentation de la biodiversité (18).
Cependant, si nous changeons de continent il faut reconnaître que la surface de la forêt tropicale diminue tous les ans, non pas tellement à cause de la vente de bois tropical, mais plutôt pour faire de l'espace à l'élevage et à l'agriculture sur brûlis. Encore que cette dimi-nution ne prend pas les proportions catastrophiques que l'on dit. La forêt amazonienne diminue de 0.5% par an et 90 % de cette forêt reste intact. (19)
Mais les européens se garderont bien de donner des leçons de bonne conduite aux brési-liens et aux camerounais. Leurs aïeuls ont effrontément déboisé l'Europe pendant des siècles pour se chauffer, pour cultiver de l'orge ou pour faire de l'acier.
Les pénuries en matières premières qui deviennent pléthore.
En 1972 le Club de Rome nous avait fait peur : continuer à utiliser les ressources nature-lles au rythme où on le faisait allait conduire à des pénuries graves sous peu. Dans beau-coup de pays on avait imposé des limitations à la circulation automobile et les premiers pas vers le recyclage de canettes en aluminium avaient été faits. Puis le soi-disant choc pétrolier est passé et les choses se sont normalisées. En moins d'une génération la crainte de la pénurie s'est effacée devant la surabondance. En 1989 on se trouvait dans la situa-tion paradoxale que les réserves connues étaient plus élevées qu'en 1973 malgré une consommation qui dans beaucoup de cas aurait dû complètement épuiser les réserves. (20)
Réserves connues en 1970* | Consommation cumulée 1970-1989 | Réserves connues en 1989 |
|
Aluminium | 1 170 | 232 | 4 918 |
Cuivre | 308 | 176 | 560 |
Plomb | 91 | 99 | 125 |
Nickel | 67 | 14 | 109 |
Zinc | 123 | 118 | 295 |
Pétrole | 550 | 600 | 900 |
Gaz naturel | 250 | 250 | 900 |
Le meilleur indicateur pour des réserves plus abondantes est le prix de ces matières qui dans beaucoup de cas a fortement baissé et la leçon à tirer de cette expérience est que les hommes sont très ingénieux pour trouver de nouvelles réserves, que ce soit l'uranium dans l'eau de mer, les métaux rares à de plus grandes profondeurs ou les énormes réser-ves de méthane emprisonné dans les glaces sous formes d'hydrates. (21)
L'autre conséquence positive de ce 'choc pétrolier' est le frein mis au gaspillage éhonté et la recherche de sources d'énergies alternatives. Comme la charbon a remplacé le bois de chauffage et que le gasoil a remplacé le charbon il est certain que d'autres sources d'éner-gie seront trouvées par l'humanité pour remplacer les combustibles fossiles.
La pénurie conduit également au remplacement de certaines matières premières après d'autres. C'est ainsi par exemple que la fibre de verre a détrôné le cuivre. L'écologiste Nigel Calder avait prévu que la production d'appareils électriques finirait par s'éteindre à cause du manque de cuivre. (22)
Au lieu de la famine des montagnes de tomates
En 1968 Paul Ehrlich écrivait : 'Le combat pour nourrir l'humanité est presque perdu. Nous ne serons pas capables d'éviter une famine dans les dix prochaines années'. En 1974 il insis-tait :' La catastrophe alimentaire submergera probablement l'humanité dans les années 80. Il a été créé une situation qui pourrait provoquer la mort par famine d'un mi-lliard d'êtres humains ou davantage'. Dans son dernier livre il continue à faire des prédic-tions semblables mais, plus prudent, il n'indique plus de date de réalisation.
Ehrlich ne fait que répéter Malthus qui lui non plus n'avait pas imaginé les gains de pro-ductivité du monde agricole et qui pour cette raison essayait de justifier l'existence d'un système social avec une classe possédante bien nourrie et une classe de prolétaires crevant de misère. Du temps de Malthus il fallait 200 ares pour nourrir une personne. Aujourd'hui il en faut 20.
L'explosion démographique des années 50 est en partie due à l'efficacité du DDT dans la lutte contre la malaria et celle de la fin du 20° siècle à la disponibilité d'aliments en suffi-sance (23). Mais à chaque alerte de surpopulation l'humanité a su trouver des techniques nouvelles pour augmenter la production : les engrais azotés en 1920, la révolution verte des blés hybrides en 1960 et aujourd'hui les OGM. Le spectre de la surpopulation lui-même est en train de disparaître : le taux de croissance de la population mondiale était de 2% en 1980, de 1,7 % en 1990 et de 1,3 % en l'an 2000. Inattendu et incroyable! Un arti-cle récent de Nature prévoit que la population mondiale baissera au cours de ce siècle (24). L'Italie qui a aujourd'hui 56 millions d'habitants n'en aurait plus que 8 millions en 2100.
Dans une grande partie c'est la mondialisation tant décriée de l'agriculture qui est la cause de ce phénomène: la population n'est plus dépendante de la production locale d'aliments et elle ne cherche plus à se protéger des carences de la vieillesse par une descendance nombreuse. Les hommes disposent d'une alimentation saine et variée et riche en fruits en toute saison. La longévité augmente sans cesse.
Nous avons trop de nourritureen cette fin de siècle. Le signe le plus probant de cette sur-abondance est le prix des aliments qui a baissée de 30 % au cours des dix dernières anné-es. La CEE chancelle sous des stocks énormes de céréales, des montagnes de beurre et des lacs d'huile d'olive. Dans les pays riches la suralimentation et une diète basée sur les sucres et les graisses fait l'obésité chez les adolescents de 12 à 17 ans est montée de 5 à 16 %. Dans les pays pauvres la situation s'est également améliorée. En 1961 un habitant du Tiers-Monde disposait de 1 932 calories pour survivre. En 1998 il dispose de 2 650 calories et pour 2 030 on prévoit 3 020 calories.
Guy Sorman a montré dans son livre «La richesses des nations» que là où on laisse le fermier propriétaire de ses terres, sa production atteint un optimum. Pendant 50 ans les gouvernements ont cru devoir encadrer, collectiviser, voire écraser les paysans afin qu'il produisent plus. C'est la redécouverte des motivations d'entrepreneur du paysan qui ressuscite aujourd'hui l'agriculture chinoise ou africaine. L'Ethiopie exporte du blé pour acheter des armes».
Le conflit commercial majeur dans le monde d'aujourd'hui est lié à ces excédents alimen-taires et le problème le plus honteux de l'humanité est leur injuste répartition ainsi que les famines générées par les guerres.
La désertification: mythe ou réalité
Selon un rapport de l'UNEP/WWF de 1991:«On estime qu'il y a environ 6 à 7 millions d"hectares de terres agricoles qui sont rendues improductives chaque année par l'érosion. Chaque année 75 millions de tonnes de sols sont déplacées par l'érosion. La désertification affecte un sixième de la population mondiale».
Il est certain qu'une agriculture mal gérée et un élevage intensif peuvent conduire à l'éro-sion et à une chute de la production agricole. Mais ces affirmations sont souvent exagéré-es et basées sur des extrapolations faites à partir de parcelles témoins. La relation entre des parcelles minuscules et tout un pays est peu significative et souvent le sol 'perdu' est redistribué à l'intérieur du paysage agricole et non définitivement perdu.
En Guinée des photos aériennes prises depuis le début du siècle montrent que la végéta-tion dans la préfecture de Kissidougou n'a pas changé au cours du siècle. (25)
Les chiffres préoccupants constituent un message puissant adressé aux dirigeants politi-ques: le désastre est imminent et il est urgent de faire quelque chose. Ceci se reflète dans la tonalité militaire de mots clés employés dans de nombreux documents officiels comme 'combat', 'vaincre', 'force tactique'.Rien n'a plus de poids pour faire bouger les gens que l'image d'une ravine profonde. Le discours de l'apocalypse malthusien, précipité par l'ef-fondrement de l'environnement, est une force extrêmement puissante pour faire avancer le calendrier des interventions extérieures.
Dans le cadre d'un exercice curieux, orchestré par le Programmes des Nations unies pour l'environnement (PNUE), des questionnaires furent envoyés aux fonctionnaires des mi-nistères de tous les pays, les incitant à produire des estimations sur les superficies affec-tées, à des degrés divers, par la désertification. Ces 'données' furent ensuite reportées sur des cartes officielles et on a établi des statistiques alarmantes pour illustrer la gravité du problème
Les récits de crises sont les principales méthodes par lesquelles les experts du développe-ment et les institutions pour lesquelles ils travaillent réclament le droit de gérer la terre et les ressources dont ils ne sont pas propriétaires. En générant des histoires de crises, les experts techniciens et les gestionnaires revendiquent des droits parce qu'ils se disent dépositaires d'enjeux au sujet de la terre et des ressources qui sont menacées.
Les oiseaux disparus qui mangent mes cerises
Au début des années 70, le livre Silent Spring de Rachel Carson avait fait craindre à tout le monde que les oiseaux allaient disparaître de notre ciel à cause des insecticides. Aujour-d'hui on sait que l'impact sur les populations d'oiseaux ne s'est pas matérialisé. 40 espèces d'oiseaux avaient été mises aux Etats-Unis sur la liste des espèces en danger. 19 d'entre elles ont une population stable depuis 1966, pour 14 le nombre a augmenté et pour 7 il a diminué (26).
Il est vrai cependant que l'homme exerce une pression sur la nature. C'est le cas pour le jardinier qui protège ses carottes des parasites et assassine les taupes, et pour le fermier qui fait de ses champs un désert vert. Les espèces animales qui ont les plus grandes chan-ces de survie sont celles qui se sont le mieux adaptées à l'homme, celles qui se sont laissé domestiquer, que ce soient les vaches dans la pampa argentine ou les chiens sur les trot-toirs de Paris.
Nous avons fait disparaître en Europe de l'Ouest l'ours et le loup (le loup n'avait aucune chance devant le caniche). Mais il est arrivé plusieurs fois qu'une espèce ait été déclarée disparue et qu'on la redécouvre ailleurs. Il est très difficile de faire la part des choses et les chiffres avancés varient dans de grandes proportions, entre 2 000 et 4 000 (27) de disparitions par année (29). Ces chiffres peuvent paraître élevés mais il faut les mettre en relation avec le nombre total d'espèces vivant sur notre terre et qui est de l'ordre de 100 millions et la perte annuelle se ramène alors à 0,004%. On estime également que pour chaque espèce de mammifères qui existe aujourd'hui, entre 30 et 40 ont disparu su cours des millénaires. Au cours des millions d'années que la vie existe sur terre , il y a eu plusie-urs chocs naturels ou autres qui ont fait disparaître jusqu'à 50 pourcent des espèces exis-tantes. Mais la vie a repris et s'est diversifiée de nouveau.
La risque de la disparition de certaines espèces a été pour les associations vertes un che-val de bataille et une vache à lait. Ainsi à tour de rôle les phoques, les éléphants, les balei-nes et les pingouins ont été utilisés pour remplir les caisses, et pourtant certaines de ces espèces sont loin d'être éteintes
La cause principale de la disparition de beaucoup d'espèces est la perte de leur habitat, no-tamment celui de la forêt tropicale. Mais si l'on veut conserver cet habitat il faut avoir vis-à-vis des pays en voie de développement une politique de soutien rationnelle. Con-damner par exemple l'utilisation de bois tropicaux donne aux forêts tropicales une valeur nulle alors que l'utilisation des bois tropicaux permettrait à ces pays une gestion des forêts pour la mise en valeur de ces bois et éviter ainsi défrichage pour la génération de pâturages. Ou encore si l'on interdit l'abattage des éléphants et la vente de l'ivoire faut-il trouver une compensation pour les ravages que des hordes d'éléphants en surnombre créent dans les plantations des indigènes.
L'Europe tue les vaches folles
&mais l'incertitude scientifique demeure. La maladie appelée «scrapie» existe en effet depuis cent ans chez les moutons. On a détecté de nombreux cas (un nombre record en France en 1998 (30)) d'ESB (encéphalite bovine spongiforme) après l'interdiction des farines potentiellement contaminées. Or ces farines étaient considérées comme le vecteur de cette maladie (31). Des vaches qui vivent sur des alpages et qui ne n'ont jamais vu de poudres animales attrapent l'ESB. Par contre d'autres vaches alimentées à titre d'essai avec des doses massives de poudres animales en provenance de la moelle épinière de moutons infectés de «scrapie» ne l'attrapent pas.
Une autre hypothèse récente est que le transfert se fait par les mites ou autres insectes qui sucent le sang des animaux infectés, dont surtout les souris. Ou encore par l'utilisation en Grande-Bretagne de doses massives d'hormones de croissance extraites de l'hypo-physe (32).
Selon le comité Dormont en France et qui est chargé du dossier on n'est absolument pas sûr que le responsable de la transmission de l'ESB et de la maladie de Creutzfeldt-Jacob soit le fameux agent appelé prion ou qu'il y ait une liaison entre l'ESB et cette maladie de l'homme. Aucune donnée épidémiologique, aucune expérience n'a pu confirmer que les prions de la BSE peuvent passer aux souris ou à l'homme. La maladie «scrapie» des mou-tons existe depuis un siècle et n'a eu aucune incidence connue sur la santé humaine.
La dernière expertise française rendue publique fin 2000 confirme que l'on n'a jamais recensé à ce jour de cas de transmission de la MCJ par le sang ou les dérivés sanguins chez l'homme (33). Les enfants français morts de cette maladie avaient tous reçu un traitement spécial avec une hormone extraite de l'hypophyse humaine. On ajoutait éga-lement aux aliments pour bébé de la cervelle de veau comme émulsifiant.
En Angleterre la maladie se concentre dans deux, trois villages. Pourquoi? Pourquoi com-pte-t-on 180.501 vaches folles en Grande-Bretagne et seulement 218 en France et 31 en Allemagne? (34) Certaines des victimes humaines sont des végétariens. La maladie pour-rait également être due à un manque de cuivre ou un excédant de magnésium. C'est l'hy-pothèse d'un chercheur anglais qui relie l'apparition de la maladie dans certaines régions à l'utilisation massive d'insecticides riches en magnésium. C'est précisément le cas des ré-gions où l'apparition de la BSE est massive. Dans l'une de ces régions, à Ashford dans le Kent, se trouve l'usine de fabrication de l'insecticide. Les premiers cas de BSE en France sont apparus en Bretagne et coincident avec l'application du même insecticide Phosmet. En Suisse on panique parce que le nombre de cas de vCJD y est beaucoup plus élevé que dans les pays avoisinants. La cause en est inconnue, mais d'après les scientifiques n'a rien à voir avec les vaches folles (35).
Aux Etats-Unis où on continue allègrement à alimenter les vaches en poudres animales, celles-ci ne sont pas atteintes mais bien les biches dans les parcs nationaux. Elles boivent de l'eau dans des ruisseaux riches en magnésium.
Une autre hypothèse avancée en 2001 est celle du professeur Ehringer du King's College, celle de la bactérie Actinobacter. Celle-ci a des molécules en surface qui ressemblent à celles des cellules nerveuses. Le système immunitaire les attaque et attaque en même temps les cellules nerveuses.
Plus récemment on vient de mettre en évidence l'implication possible d'un insecticide «biologique», la rotenone, dans l'augmentation de la maladie de Parkinson chez les fermiers biologiques.
La panique médiatique liée aux vaches folles est l'exemple typique de conséquences pu-bliques d'une mauvaise communication sur les risques faibles, en particulier agroalimen-taires et environnementaux. Et sous cette pression médiatique toute autre hypothèse que celle des poudres animales est négligée.
On a l'impression de retourner aux époques préhistoriques de l'humanité. En sacrifiant des milliers de vaches on croit résoudre le problème. L'homme des caves n'en sacrifiait généralement qu'une ou deux pour calmer le courroux des dieux.
Et ne nombre de fermiers qui se sont suicidés de désespoir, 160 rien qu'en Angleterre, est supérieur à celui des humains morts éventuellement par le biais des poudres animales (19 cas d'encéphalite spongiforme sur 10 ans en Grande-Bretagne et 4 en France). Mais le professeur R.Lacey de l'Université de Leeds et le professeur S.Dealler dans le British Food Journal avaient prédit deux millions de morts britanniques en 2005 pour cette maladie.
Il n'est pas logique en tout cas qu'on interdise les farines animales dans l'alimentation et que l'on accepte leur utilisation comme engrais en agriculture biologique. (36)
Méfions nous des prophètes de malheur
Nous ne savons pas prévoir l'avenir et même ceux qui se croyaient les plus intelligents d'entre nous se sont trompés: Hegel qui avait prévu le triomphe de l'Etat prussien, Marx
qui avait annoncé le paradis du prolétariat, Servan-Schreiber qui nous parlait du défi américain et Paul Kennedy qui nous avait vanté les mérites du management à la japonai-se et prédit la prochaine domination nippone.
Méfions nous de ces prophètes de malheur. Ils veulent vendre leurs livres et pourtant les bibliothèques sont déjà remplies de leurs inepties. Ils veulent remplir leurs tirelires et sur le marché de la peur les recettes pour arriver à cette fin sont simples. Vous répétez sou-vent la même ineptie ou le même mensonge. Il en restera toujours quelque chose, surtout si offrez des communiqués alarmistes à la presse qui les publiera sans se poser de ques-tions. Vous trouvez un expert autodidacte ou un professeur qui se laisse acheter pour sou-tenir vos allégations. Faites peur même si les risques pour la santé sont infiniment petits. Faites appel aux sentiments maternels et aux risques pour les enfants d'aujour-d'hui et ceux des générations futures. Montrez l'irresponsabilité de ceux qui vous contre-disent, surtout celle des industriels.
Le dernier exemple de la sottise codifiée est le principe de précaution. L'homme de nos sociétés opulentes voudrait éliminer tout risque de sa vie. Mais une vie humaine sans risques est impossible. On aimerait que les fabricants de nouveaux produits chimiques nous démontrent l'inocuité parfaite de ces produits. Mais il n'existe nulle substance qui ne présente un risque, que ce soit l'eau distillée ou l'aspirine, le lait maternel ou la pénicilline, le légume biologique ou la peinture à l'eau. La science ne saurait pas démontrer qu'une substance est sans aucun danger.
On arrivera donc à l'interdiction de substances anodines. Au Perou on a enlevé le chlore de l'eau potable parce que l'Environmental Protection Agency des Etats-Unis estime que le chlore pourrait être cancérigène. On s'est retrouvé à Lima avec une épidémie de chole-ra qui a tué 40 000 personnes. D'autres ont prétendu que la triple vaccination MMR des enfants pouvait conduire à l'autisme. On a supprimé la vaccination en Irlande, en Suède et aux Pays-Bas. De nombreux enfants sont morts de la rougeole. Le DDT tuerait les oiseaux dans l'Suf: on l'interdit et des millions de personnes en Afrique et en Asie meu-rent de nouveau de la malaria.
Le risque nul n'existe pas. Toutes les activités humaines en comportent: le jeu, le ski, le voyage, le travail, la recherche&Nous devons continuellement mettre en balance les avantages ou plaisirs de ces activités avec leurs risques connus ou potentiels et prendre une décision. Mais ne pas nous enfermer dans une cave blindée.
Christophe Colomb n'aurait pas découvert l'Amérique s'il avait appliqué le principe de précaution.
Ce principe qui se conjugue au conditionnel est un luxe que peuvent se payer les pays ri-ches. Il oublie que le développement durable s'appuie non seulement sur le pilier écologi-que, mais également sur deux autres: l'économie et le social. Le développement durable exige que le principe de précaution soit appliqué bien au-delà des risques sanitaires et environnementaux, aux conséquences premières de l'innovation technique sur la société: l'emploi, l'équité sociale, la solidarité Nord-Sud. On ne peut ignorer non plus le principe de proportionnalité: les moyens mis en Suvre ne doivent pas dépasser l'impact potentiel du risque. Le principe de précaution risque de devenir le joker des argumentations faibles, l'instrument de l'opportunisme politique. Il peut même conduire à des dérives autoritai-res: quelques verts fondamentalistes se croient investis d'une sorte de prêtrise pour pro-téger l'humanité. Et cette fin justifie des moyens tels que le mensonge ou la contrainte.
Et prêchez le retour à la nature et à la terre mère Gaia. L’homme est comme un cancer qui dévore la planète. Mais ce rêve d’un paradis terrestre est fallacieux. Darwin nous a montré que la compétition y est féroce et sanglante et que le premier besoin de tout être vivant est de trouver de la nourriture. Greenpeace n’est pas la première organisation à utiliser la nature à des fins politiques ou financières. Les préfets de Napoléon mettaient déjà en œuvre des mesures environnementales pour adoucir leur mesures totalitaires. Ainsi le préfet de Ligurie est tout fier d’écrire à Napoléon qu’il a planté des arbres partout et mis en prison quelques curés. Race, sang et nature étaient chez Hitler un thème récurrent. La nature se devait d’être propre et soignée et certains disent qu’il était le premier écolo.
L’écologisme profond a également des racines dans le puritanisme protestant : se donner une façade de bienfaiteur de l’humanité et être en même temps une machine à sous. D’autres trouvent que ses dogmes font penser aux tabous des religions primitives : un politicien qui dirait qu’il ne croit pas à l’effet de serre ou à la nocivité des dioxines commettrait un suicide. Ou encore à Mao: les gardiens de l’ordre deviennent de petits gardes rouges. Ou des gardes champêtres à la Courteline.
Gardons notre optimisme. L'homme est capable d'organiser des guerres et des catastro-phes, mais il a toujours été capable de trouver des solutions aux situations difficiles et de bâtir un avenir meilleur. Le chercheur scientifique doit rester un prophète et un rebelle.
Pierre Lutgen
Docteur en Sciences
Luxembourg
References